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Ferney, en tendant la main au vieillard, c’est à l’ami. Ne m’interrompez pas, car malgré l’espoir que s’est efforcé de me donner le docteur et malgré toute sa science, je sens qu’il me reste peu de temps à vivre. C’est de mes enfants que je veux vous entretenir. L’une de mes filles m’a été ravie. La retrouvera-t-on jamais ? L’autre a dix ans à peine, et j’ai prié, par une lettre qui lui sera remise, Mme  de Lignières, ma parente, de s’en charger. Mais il me reste mon fils, que j’ai rendu coupable d’un crime.

— Raoul, coupable d’un crime ! répéta le prêtre.

— Une nuit, égaré par la jalousie, il a frappé d’un coup de couteau cette misérable femme. C’est pour cela que je l’ai éloigné de moi.

— Ce n’est pas possible !

— Hélas ! c’est trop vrai. Un matin, nous avons trouvé cette femme blessée ; elle n’avait pas appelé à son aide, et je dois lui rendre cette justice qu’elle a refusé de nommer son meurtrier ; mais j’ai découvert le couteau de mon fils sous le lit où dormait Mlle  Reboul ; elle se nommait ainsi alors ! Raoul s’était introduit chez elle. Il n’a pas nié et n’est sorti de la maison qu’en proférant des menaces que je crains plus que jamais qu’il ne mette à exécution un jour.

— Malheureux enfant !

— Vous comprenez quel a été mon désespoir, et vous comprenez aussi pourquoi, lorsque j’ai appris l’inconduite de… Mme  de Ferney, je me suis contenté de la chasser. Qui sait si, au moment où je l’aurais envoyée en police correctionnelle comme adultère, elle n’aurait pas conduit mon fils devant la cour d’assises comme assassin !

— Oh ! elle ne l’eût pas osé !

— Elle n’y aurait pas manqué, au contraire. Eh bien ! mon ami, c’est Raoul que je vous confie. J’ai écrit, dans mes dernières volontés, qu’il devait revenir à Paris pour entrer au collège Sainte-Barbe. De cette façon, vous pourrez le voir fréquemment, le conseiller et lui parler de moi, qui mourrai en lui pardonnant.

— Éloignez de vous cette triste pensée.

— Pourquoi, puisqu’elle me donne la force de me mettre en règle avec mes affections et ma conscience ? Il est encore un autre auquel je veux pardonner, c’est M. de Serville.

— M. de Serville !

— C’est avec lui que je me suis battu ce matin. Or, il s’est produit pendant ce duel un incident qui sera peut-être cause de ma mort ; mon adversaire a supposé que je l’en rendrais responsable. Je désire vivement qu’il sache qu’il n’en est rien et que je n’ai à son égard aucun sentiment de haine. Allez le trouver et dites-le-lui. Il demeure, 124, rue d’Assas.