Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/237

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l’hôtel de Rifay ; le blessé s’affaiblissait rapidement. Vers huit heures du soir lorsque l’abbé Colomb, qui était allé recevoir Raoul à la gare du Nord, revint avec lui, on craignait que M. de Ferney ne reconnût pas son fils.

Mais, au contraire, à peine l’enfant, pâle et le visage baigné de larmes, eut-il posé les lèvres sur la main de son père, que celui-ci ouvrit les yeux, et comme s’il eût puisé dans cette caresse des forces nouvelles, il murmura :

— Dieu soit loué ! il a exaucé ma dernière prière !

Puis, après avoir attiré Raoul sur son cœur, il lui dit :

— Mon fils, il y a un an, je t’ai accusé d’un crime et je t’ai chassé ; je t’en demande pardon.

— Mon père ! fit le jeune homme, je ne comprends pas.

Le fils de M. de Ferney ignorait en effet le motif réel de son éloignement ; il avait toujours supposé qu’il ne le devait qu’au peu d’affection qu’il avait témoignée à sa belle-mère.

L’abbé Colomb t’expliquera mes paroles, dit le mourant ; mais, moi, je te prie de me pardonner mes soupçons et mon injuste sévérité.

— Oh ! mon père ! mon père ! c’est moi qui dois implorer votre pardon, puisque j’ai pu douter de votre affection.

L’enfant, étouffé par ses sanglots, était tombé à genoux près du lit.

— Écoute-moi, reprit M. de Ferney dont la voix était à peine perceptible, et grave ces mots dans la mémoire : M. Dormeuil, un de mes amis, te remettra une lettre que je t’ai écrite ; jure-moi de m’obéir et jure-moi aussi de suivre les conseils de l’abbé Colomb.

— Je vous le jure, bégaya Raoul épouvanté.

— Adieu, mon fils… pardonne-moi, je t’aime… je te bénis !

Et comme le pauvre père, en prononçant ces mots, avait fait un effort pour se soulever sa tête retomba près de celle de son enfant ; ses lèvres s’entrouvrirent, mais muettes et décolorées ; ses yeux, démesurément ouverts, se fixèrent sur lui, puis ses traits contractés se détendirent, et l’expression d’angoisse qui régnait sur son visage disparut.

M. de Ferney avait cessé de souffrir.

Raoul se releva en jetant un horrible cri.

— Courage, mon ami, lui dit le prêtre en le recevant dans ses bras. Prions tous deux.

L’enfant retomba à genoux près du serviteur de Dieu.

Quelques instants après, fait homme par la douleur, Raoul de Ferney fermait pieusement les yeux du mort et murmurait en lui donnant un dernier baiser :

— Mon père, tu seras vengé, je te le jure !