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Ses yeux petits, profondément enfoncés sous une arcade sourcilière hérissée de poils en broussaille, brillaient comme des charbons ardents ; et lorsqu’il riait, ses lèvres lippues découvraient deux rangées de dents blanches et acérées ainsi que celles d’un chien.

En un mot, c’était un monstre des plus complets et des mieux réussis. Il paraissait avoir quarante-cinq ans à peu près et devait être d’une vigueur peu commune.

Ce hideux personnage n’était autre que Pierre Méral, le frère de Françoise et de Jeanne.

Après avoir subi à Cayenne la peine à laquelle il avait été condamné comme complice de son père dans l’assassinat des époux Duval, il était rentré en France, et bien que Paris lui fût interdit, il n’avait pas hésité à y venir, afin d’y exploiter sa sœur.

Les trois amis étaient attablés depuis déjà plus d’une demi-heure, fumant, buvant et fouillant inutilement du regard les groupes qui se pressaient à l’entrée de la Reine Blanche, lorsque Justin dit à Manouret :

— J’ai peur, Claude, que la belle ne nous fasse poser. Quelle idée de lui donner rendez-vous dans ce bastringue !

— Dame ! je ne pouvais pas cependant l’inviter à venir nous rejoindre aux Tuileries, répondit l’ex-cabaretier d’un ton gouailleur. D’abord ce bastringue, comme tu l’appelles, c’est son salon ordinaire, à elle ; et, ma foi, elle n’a pas tort, car c’est très bien composé. Est-il aristo, ce Justin ! C’est pas ton avis, Bosco ?

Ces mots s’adressaient au bossu, mais celui-ci n’avait pas l’air d’entendre. Tout entier aux filles qui défilaient devant lui au bras de leurs cavaliers, il les dévorait des regards lubriques de ses petits yeux flamboyants, et il faisait son possible pour qu’on le remarquât.

En surprenant le hideux personnage en flagrant délit de tentative de conquête, ses compagnons éclatèrent de rire et Claude lui dit, en lui frappant sur l’épaule :

— Je t’y prends encore l’Adonis ; décidément on ne peut jamais te conduire là où il y a des dames. Nous ne sommes pas ici pour nous amuser. Les affaires sérieuses avant tout ! Tiens, voilà justement Clarisse ! Tu vois, Justin, qu’elle est venue !

Rappelé à lui par l’apostrophe de son ami, le bossu ne répondit à la plaisanterie dont il était l’objet que par un sourire plein de fatuité, et il s’empressa galamment de faire place, entre lui et Claude, à la jeune femme, qui, reconnaissant ceux qui l’attendaient, s’était vivement rapprochée.

C’était une belle fille d’une vingtaine d’années, effrontée et rieuse. Bien qu’elle n’eût été présentée à Claude, par Françoise, son ancienne maîtresse, que depuis peu, elle était déjà au mieux avec lui.

Après avoir débuté dans une boutique de blanchisseuse du boulevard des Batignolles, où la sœur de Jeanne Reboul l’avait connue, la clientèle du quartier lui