Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/305

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et, s’adressant un dernier coup d’œil de satisfaction dans la glace qui ornait la cheminée de son bureau, il se hâta de sortir de chez lui, sans prévenir personne.

À cinquante pas au delà de sa porte, il se trouva face à face avec une jeune fille qu’il reconnut aussitôt.

— Clarisse, lui dit-il, en prenant son bras, c’est gentil d’être venue ; j’avais presque peur de ne pas vous voir.

— Je vous l’avais promis, monsieur, répondit la jolie blanchisseuse, d’un petit ton sentimental ; quoique ce soit bien mal ce que je fais là…

On voit que l’amie de Manouret débutait de façon à permettre d’espérer qu’elle jouerait bien son rôle jusqu’au bout.

— Alors nous allons à la campagne ? dit le céladon en pressant le bras de sa conquête.

— Nous irons où vous voudrez, mais vous me jurez d’être raisonnable.

— Je vous jure surtout que je vous adore. Prenons d’abord une voiture et arrêtons-nous chez un marchand pour faire nos provisions.

L’agent d’affaires héla un fiacre qui justement passait ; il y fit monter Clarisse et prit place auprès d’elle, en donnant une adresse au cocher.

Cinq minutes après, la voiture s’arrêtait devant une boutique de comestibles où la jeune fille choisit, en victuailles et en vins, ce qui aurait suffi pour nourrir et désaltérer dix personnes. Vingt minutes plus tard, le couple amoureux montait à la gare de Vincennes dans un wagon de première classe.

Malgré son avarice, Pergous savait, à l’occasion, faire galamment les choses.

Il était neuf heures moins un quart lorsque le train s’arrêta à Nogent.

— Nous sommes déjà arrivés ! fit la blanchisseuse avec un accent de terreur pudique, dont Pierre le bossu, s’il en avait été témoin, l’aurait remerciée par un sourire.

— Oui, chère belle, répondit l’ex-avoué ; dans dix minutes, nous serons chez moi, c’est-à-dire chez vous.

Et, tout chargé qu’il fût de la bourriche de provisions, il offrit son bras à sa conquête pour sortir de la gare.

Il ne s’agissait plus que de gagner l’île de Beauté ; mais lorsque l’ouvrière se vit seule avec cet homme que ses amis à elle guettaient pour lui jouer quelque mauvais tour, elle se sentit moins rassurée à l’égard des suites que pouvait avoir cette aventure.

Quand elle arriva sur l’étroit chemin qui longe, dans l’île, le petit bras de la Marne, où, grâce aux grands arbres, l’obscurité était si profonde que Pergous lui-même, si accoutumé qu’il fût à ce chemin, était obligé de marcher doucement, Clarisse commença à avoir peur.

L’heureux Marius, au contraire, était tout entier à l’orgueil de sa prochaine vic-