Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/313

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l’avaient enlevé n’étaient que pour la circonstance les locataires de la maison, et qu’ils se garderaient bien d’y revenir une fois leur but atteint.

Notre personnage fut tiré de ses réflexions par la voix de l’ancien forçat, qui lui demandait de nouveau ce qu’il voulait pour déjeuner.

— Ce que vous voudrez, répondit-il : des œufs, une côtelette, un peu de fromage.

— Et du vin ?

— Certainement.

— Blanc ou rouge, bordeaux ou bourgogne ?

— Cessez cette plaisanterie et apportez-moi ce que vous avez.

— Nous n’avons rien ici ; il faut aller aux provisions.

— Eh bien, allez-y !

— Parfaitement, mais procédons d’abord à une chose indispensable.

— À laquelle ?

— À rassurer les gens que votre disparition peut inquiéter. Que vous passiez une nuit dehors, ça doit sembler naturel, car vous êtes un gaillard, mais un jour, deux jours, une semaine, sans qu’on ait de vos nouvelles, on trouverait cela plus extraordinaire. Il faut donc écrire chez vous une petite lettre bien sentie dans laquelle vous direz que vous avez dû partir subitement pour une affaire importante, une affaire d’amour.

— Je n’écrirai rien du tout ; personne ne se demandera ce que je suis devenu.

— Pas même M. Philidor, votre bras droit ? Pas même cette bonne Victoire, votre cordon-bleu ? Pas même cette charmante Marie, votre pupille ?

Pergous ne put réprimer un mouvement de colère. Ces gens-là, décidément, le connaissaient trop bien.

— Je n’écrirai pas, répéta-t-il cependant.

— Tant pis ! fit Pierre avec un air de compassion.

— Pourquoi tant pis ?

— Parce que j’ai ordre de ne vous servir votre déjeuner que contre la petite lettre en question.

Cette fois, l’ex-avoué se sentit réellement effrayé.

Il ne pouvait se faire d’illusion, le sourire narquois de son interlocuteur confirmait trop bien sa menace ; on voulait le prendre par la famine.

Comprenant alors qu’il serait bientôt forcé de se rendre aux sollicitations de son estomac, il préféra céder de bonne grâce.