Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/33

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paraissant assez inquiète à l’égard de la façon dont elle allait être reçue, elle était entrée chez son maître.

— Quoi ! Qu’y a-t-il ? répondit le bourru personnage aux premiers mots de sa servante ; vous savez bien qu’avant dix heures je n’y suis pour personne.

Pergous était en effet un sybarite ; ses opérations véreuses lui rapportaient assez d’argent pour qu’il se crût le droit de ne recevoir qu’à sa convenance les gens qui avaient recours à ses services.

Aussi ne fallut-il rien moins que le nom de Lucie Dutan pour lui faire relever la tête.

— Que diable me veut cette femme ? murmura-t-il avec une certaine inquiétude.

Et il ajouta aussitôt à haute voix :

— Eh bien ! faites-la entrer, si c’est si pressé ; je ne vais pas me lever pour elle.

Lucie, qui, de la salle à manger, avait entendu, s’élança dans la chambre dont la porte était restée entr’ouverte.

— Monsieur, dit-elle à l’agent d’affaires, sans attendre d’être interrogée, il est arrivé un malheur à mon mari.

— Quel malheur ? Que voulez-vous que j’y fasse ? répondit brutalement l’ex-avoué. Je ne peux cependant pas toujours…

— C’est à propos de cette caisse.

— Comment de cette caisse ! Il ne vous a donc pas dit ce que nous en avons fait ?

— Si, monsieur, mais…

— Mais quoi ? Voyons, parlez !

Pergous commençait à craindre qu’il ne fût arrivé à Jérôme quelque chose de nature à l’intéresser vivement.

— Écoutez, monsieur, je vais vous dire la vérité comme je la dirais au bon Dieu.

Cette naïve comparaison n’arracha pas même un sourire à celui auquel elle s’adressait, et la pauvre femme raconta franchement ce qui s’était passé devant elle entre son mari et l’inconnu.

— Alors, au risque de me compromettre et pour me récompenser du service que je lui ai rendu, Dutan s’est tout simplement introduit dans ma maison comme un voleur ? fit l’homme d’affaires.

— Monsieur, supplia la pauvre femme.

— Oui, vous n’avez pu résister à l’appât des cinq mille francs.

Le misérable ne rougit pas en prononçant ces mots, quoiqu’il sût bien cependant que Jérôme n’avait pu tenir sa promesse, mais il poursuivit :

— Maintenant, il faut encore que ce soit ce bon monsieur Pergous qui vous tire de là. Ah ! voilà une jolie affaire si la police s’en mêle. Retournez chez vous et n’en bougez pas de la journée, que votre mari revienne ou ne revienne pas. Moi, je vais courir à Nogent pour voir s’il y a du nouveau.

— Oh ! soyez béni, monsieur.

— Aussitôt de retour, j’irai vous trouver.

Et sans s’inquiéter de la pudeur de la malheureuse affolée qui lui redemandait son mari, le cynique personnage descendit de son lit devant elle.

Mais Lucie était une trop honnête créature pour même accorder à Pergous le bénéfice de sa grossièreté en rougissant.