Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pour ma part, j’en augure mal. L’empereur se trompe, ou plutôt il est trompé. Enfin, le sort en est jeté ! Le moment n’est plus à la discussion, mais à l’action. Or, je puis être tué.

— Général !

— Et Fernande serait veuve à vingt-deux ans. C’est la meilleure et la plus loyale femme que je connaisse, que j’aie jamais connue ; sa fortune sera, pour bien des gens, un aimant irrésistible. Promettez-moi, mon ami, de la défendre et de ne lui laisser prendre pour mari qu’un homme digne d’elle. Jurez-le moi, je vous en prie.

— Puisque vous le voulez, je le jure, quoique, vraiment…

— Vous avez juré, cela me suffit, je partirai tranquille.

Et, après avoir pressé une dixième fois les mains de son hôte, le général mit la conversation sur un autre terrain.

Une heure plus tard, calme et souriant, il prenait congé du peintre.

Le surlendemain matin, pendant que M. de Rennepont s’éloignait de Paris pour rejoindre son corps, Fernande et Armand qui l’avaient accompagné à la gare, reprenaient le chemin du faubourg Saint-Germain, le cœur oppressé, les larmes aux yeux, sans échanger une parole.

Avant de quitter Mme  de Rennepont à la porte de son hôtel, M. de Serville lui tendit la main en lui disant :

— Madame, le général m’a chargé de vous protéger et de vous défendre pendant son absence, et j’ai accepté cette mission, bien que je ne sache pas quels dangers vous pourrez jamais courir. Disposez donc de moi, en toutes circonstances, comme vous disposeriez d’un frère ; et rappelez-vous que si, par discrétion, je ne me présente chez vous que de loin en loin, vous avez, rue d’Assas, un ami sincère et dévoué, dont tous les instants vous appartiennent.

— Merci, monsieur, répondit Mme  de Rennepont ; mais venez souvent, au contraire. Ainsi qu’autrefois, ma porte vous sera toujours ouverte.

Et comme l’émotion ne lui permettait pas d’en dire davantage, Fernande se hâta de se séparer du jeune homme avec un triste sourire, puis elle remonta dans son appartement, épouvantée de la solitude dont elle était menacée.

Quant à l’artiste, après avoir renvoyé sa voiture, il se dirigea à pied du côté du Luxembourg, l’esprit obsédé par de tristes pressentiments.

En se rappelant ce que le général lui avait dit à propos de la campagne qui s’ouvrait, il se demandait avec terreur si le vieux soldat n’avait pas lu dans l’avenir.

Mais le lendemain matin, lorsque, sur les boulevards, où il était descendu pour se mettre au courant des événements, il vit passer, musique en tête et la résolution peinte sur le visage, les soldats qui quittaient Paris, au milieu de l’enthousiasme de la foule, il reprit courage et confiance.