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L’agent d’affaires raconta, avec une émotion parfaitement jouée, que Mme Dutan l’avait prié de faire rechercher son mari, mais qu’il n’en savait pas davantage.

Après cette déclaration, le commissaire rendit à Pergous sa liberté, et il décida que Lucie serait soignée pendant quelques jours à son domicile, jusqu’au moment où son entrée à l’hospice serait jugée nécessaire.

En sortant du commissariat de police, l’ancien agent ministériel ne manqua pas de retourner rue Vandrezanne, où il dit à Marie d’une voix émue :

— Ma pauvre enfant, voilà un bien grand malheur qui vous frappe, mais vous pouvez compter sur moi.

Et attirant doucement à lui la jeune fille, il eut la hardiesse de l’embrasser.

Ensuite, il sortit, escorté par les bénédictions des spectateurs de cette scène.

Une fois en voiture, il tira de sa poche les fragments des billets de banque, et reconnaissant qu’il n’en manquait aucun, il murmura :

— Les morceaux en sont bons ; c’est parfait ! Quant à cette petite, elle promet d’être un mets de roi ; je ne la quitterai pas de l’œil. Allons, Marius Pergous, tu n’as pas perdu ton temps.

Le soir même, le célèbre docteur Tardieu procédait à l’autopsie du cadavre de Dutan et déclarait que l’ouvrier avait succombé, non pas à la fracture du crâne qu’il avait constatée, mais à l’hémorragie qui s’était produite à la suite de cette blessure, blessure provenant d’un instrument contondant, casse-tête ou marteau, et qui lui avait été faite par un individu placé derrière lui.

Le savant praticien avait, de plus, aisément reconnu, par l’examen des voies respiratoires de la victime, que celle-ci avait cessé de vivre depuis longtemps déjà, peut-être plus de vingt-quatre heures, lorsqu’elle avait été jetée à l’eau.

Une enquête fut immédiatement faite, mais sans résultat.

Ainsi qu’il se l’était promis, l’agent d’affaires s’était hâté de transporter le précieux coffret, soigneusement emballé et cacheté, chez Philidor, qui l’avait reçu avec reconnaissance.

Quelques jours après, il apprit que Mme Dutan était décidément privée de raison, et il vit arriver rue du Four, dans son odieux repaire, la pauvre Marie.

— Ma mère est à l’hospice, monsieur, lui dit la jeune fille en sanglotant, et les médecins affirment qu’elle n’en sortira que pour aller à la Salpêtrière. Me voilà seule au monde !

— Non pas, répondit le misérable en ouvrant hypocritement ses bras à la chaste enfant ; je veux être votre père.

Et après l’avoir confiée à sa domestique, vieille fille à son entière dévotion, il rentra dans son bureau en se disant :

— Tout va bien ! le père mort, la mère folle, plus de témoins ! Allons, ami Pergous, en chasse du côté de l’hôtel de Rifay ; tu es bien certain maintenant de ne rencontrer personne en travers de ta piste !


Fin du prologue