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ment serait peut-être impuissant, mais qui nécessitait d’abord, et sans retard son transport dans une autre ville, sous un autre climat.

Son mari hésita pendant quelque mois à prendre une décision.

Abandonner la magistrature, c’est-à-dire une position honorable et des travaux qui lui étaient d’autant plus chers qu’il n’était pas d’âge à embrasser une nouvelle carrière et que l’inaction l’épouvantait, il n’y songea pas un instant.

Demander son changement de résidence, abandonner Douai, où il avait ses relations, ses habitudes et aussi ses intérêts, car sa fortune consistait en grandes propriétés dans les environs, cela lui coûtait beaucoup.

Cependant il comprit bientôt que ce dernier parti lui était imposé.

Sa femme dépérissait rapidement ; elle avait dû abandonner la surveillance de sa maison à un maître d’hôtel, et l’éducation de ses filles, dont elle s’était toujours occupée avec tendresse, à une institutrice dévouée mais tout à fait incapable.

Le magistrat avait bien parlé de mettre son fils Raoul au collège, mais la mère, dont cet enfant ne s’était jamais éloigné, avait laissé couler ses larmes et ce projet avait été abandonné.

M. de Ferney souffrait donc cruellement de la situation douloureuse et pénible que lui faisait si impitoyablement sa mauvaise fortune.

Ayant adoré sa femme, alors qu’elle était bien portante et belle, il ne l’aimait pas moins depuis que son état de santé l’avait condamné, lui, jeune et robuste, à un veuvage anticipé, et il se voyait déjà seul avec trois enfants en bas âge, qu’il lui faudrait confier à des mains mercenaires.

Louise, l’aînée de ses filles, était une jolie fillette brune et d’un fol entrain. Sa gaieté inconsciente faisait mal auprès du lit de sa mère mourante.

L’autre, Berthe, était un adorable bébé blond et rose, d’une intelligence précoce et d’un sérieux des plus amusants.

Quant à Raoul, qui professait pour sa mère une véritable adoration, il voyait bien qu’elle souffrait et pressentait sans doute, avec cette intuition des cœurs aimants, qu’il en serait bientôt privé, car il redoublait pour elle de marques de tendresse. Son caractère avait déjà quelque chose de la gravité de celui de son père.

M. de Ferney avait fait les démarches nécessaires pour être nommé à Paris. Il espérait que sa chère malade trouverait dans cette ville, d’abord un climat plus favorable et des distractions nouvelles, et aussi les soins des docteurs les plus habiles.

Il était certain d’y rencontrer, lui, tous les éléments pour son amour du travail.

Il avait la parole du ministre de la justice, sa nomination ne faisait pas l’ombre d’un doute, et il avait profité de son voyage pour louer, dans le seul quartier qui pût lui convenir, en raison de ses relations et de ses travaux, c’est-à-dire dans le faubourg Saint-Germain, une spacieuse habitation possédant ce trésor qui disparaît de jour en jour dans la grande ville : un beau jardin planté d’arbres centenaires.

De retour à Douai, M. de Ferney s’était occupé d’une institutrice pour ses filles, car il avait l’intention de faire suivre à Raoul les cours du collège le plus voisin de son quartier. Il tenait d’autant plus à trouver rapidement une personne convenable, que celle qui remplissait ces délicates fonctions dans sa maison ne paraissait disposée à suivre ses élèves qu’à contre-cœur.