Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/49

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Aussi avait-il chargé les amies de sa femme, et surtout une vieille parente, de l’aider dans ses recherches.

Les choses en étaient là au moment où nous pénétrons chez le magistrat.

À la fin de l’automne de 185., un jour qu’il était dans son cabinet de travail, son valet de chambre vint lui annoncer qu’une jeune femme demandait à le voir, pour lui remettre une lettre de la supérieure du couvent de la Visitation.

Supposant qu’une personne qui se présentait dans ces conditions ne pouvait être qu’une institutrice, M. de Ferney donna l’ordre de la faire entrer immédiatement.

Quelques secondes après, le domestique introduisait auprès de son maître une jeune femme de vingt-deux à vingt-trois ans, mise avec simplicité et d’une tenue modeste, mais non timide ni embarrassée.

M. de Ferney la salua et, l’invitant à s’asseoir, prit la lettre qu’elle lui tendait. Cette lettre était ainsi conçue :


« Monsieur,

« Votre cousine, Mme de Lignières, m’ayant fait part de l’embarras dans lequel vous vous trouvez à propos d’une institutrice, je vous adresse une jeune fille qui est dans notre maison depuis deux ans et dont je n’ai que des éloges à faire.

« Mlle Jeanne Reboul est entrée chez nous à la recommandation de Mme de Serville, qui l’avait élevée et l’aimait beaucoup. J’espérais qu’elle ne nous quitterait pas, mais, depuis la mort de sa protectrice, Mlle Reboul désire s’éloigner du pays où elle avait sa seule affection. Elle est instruite, sérieuse, remplie de sentiments religieux.

« Causez avec elle, étudiez-la, et je suis convaincue que vous trouverez en elle les qualités si nécessaires à celle qui doit élever chrétiennement vos chères fillettes.

« Daignez agréer, monsieur, mes respectueux hommages et croire à tous mes vœux pour le prompt et complet rétablissement de Mme de Ferney.

« Sœur Sainte-Cécile. »


Cette lecture terminée, M. de Ferney leva les yeux sur celle qui lui avait apporté ces lignes d’introduction si pressantes, et ne jugeant la jeune fille que sur l’expression intelligente et sympathique de son visage, ne s’arrêtant qu’à son extérieur de femme du monde, il espéra tout d’abord qu’il avait enfin trouvé le rara avis qu’il cherchait.

Ce que le père de famille n’avait pas assez remarqué, c’était la splendide beauté de celle qu’on lui adressait, beauté que la jeune fille dissimulait, pour ainsi dire, comme si elle eût craint que son éclat ne fût un obstacle à son admission dans la famille du conseiller.

Au lieu d’encadrer orgueilleusement son front, ses luxuriants cheveux noirs disparaissaient, autant que possible du moins, sous sa coiffure ; ses paupières estompées, à demi baissées, voilaient en partie les éclairs de ses grands yeux ; ses lèvres carminées, sensuelles, laissaient à peine entrevoir ses dents de perles ; les richesses de son corsage et la flexibilité de sa taille étaient chastement enfouies sous un large vêtement ; ses gants étaient évidemment trop grands pour ses petites mains.