Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/512

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La seconde, c’est le mépris que la population de Paris tout entière, à quelque rang qu’elle appartînt, avait pour la plupart de ceux qui étaient alors au pouvoir ; ce qui l’entraînait forcément à ne pas désirer d’entrer en lutte contre la démagogie qui voulait les renverser.

La troisième, c’est l’aveuglement de l’autorité militaire qui, alors qu’elle n’avait pris aucune mesure contre le mouvement insurrectionnel, s’en fut le provoquer en donnant dans le piège des canons de Montmartre, canons que le comité central faisait garder chaque jour de moins en moins, pour mieux exciter le gouvernement à tenter de s’en emparer.

La quatrième enfin, c’est la retraite, ou plutôt la fuite de ce même gouvernement qui, en abandonnant Paris à l’émeute, sembla avouer qu’il n’était pas assez fort pour la combattre, laissa la population au découragement dont elle était atteinte, ouvrit le champ aux fous et aux ouvriers qui avaient désappris le chemin de l’atelier, et livra la ville sans défense à cette masse affolée dont les chefs, en grande partie du moins, étaient plus avides de jouissances et de galons qu’enfiévrés de patriotisme.

Pendant que les choses marchaient ainsi avec une effrayante rapidité, Pierre guérissait.

Moins de huit jours après avoir reçu ce coup terrible, qui aurait tué tout autre que lui, il commençait à se lever ; et le 2 avril, au matin, il annonça à la Fismoise qu’il se sentait assez fort pour sortir.

Sa sœur voulut le retenir ; le forçat n’écouta rien. Elle l’interrogea ; il refusa de répondre.

Depuis qu’il avait appris par les journaux, le Rappel, entre autres, dont il faisait sa lecture favorite, ce qui se passait dans Paris, il était comme fou, et, dans le courant de la journée, la tête entourée d’un bandage, ce qui rendait sa physionomie encore plus hideuse, il s’échappa tout à coup pour se diriger du côté de Belleville.

Presque au même instant, la Louve, qui avait suivi les événements et dont les terreurs s’étaient réveillées malgré les promesses de protection du docteur Harris, faisait prévenir Sarah Bernier qu’elle ne voulait pas rester un jour de plus à Paris et que son intention était de partir le lendemain matin.

En prenant cette détermination, la comtesse imitait tous ceux que les débuts de la Commune épouvantaient.

Depuis quelques jours, c’était un sauve-qui-peut général, car on disait que les portes de la ville allaient être rigoureusement fermées.

Déjà, depuis la veille, on ne sortait plus sans être l’objet des insultes et souvent même des mauvais traitements des fédérés.

Les hommes au-dessous de quarante ans avaient reçu avis qu’ils seraient incorporés de force s’ils ne voulaient pas se présenter de bon gré, et M. de Fressantel commençait si bien à regretter d’avoir attendu sa tante qu’il la pressait maintenant de partir.

Le jeune baron s’était procuré un sauf-conduit, grâce à son ami du Charmil, à