Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/52

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Et Mlle  Reboul, qui avait prononcé ces derniers mots en rougissant un peu, se leva pour prendre congé du magistrat.

M. de Ferney la reconduisit poliment jusqu’à la porte de son cabinet et passa chez sa femme, pour lui faire part de la visite qu’il venait de recevoir.

Mme  de Ferney avait été fort belle, mais bien qu’elle eût à peine vingt-neuf ans, — elle s’était mariée très jeune, — il ne restait plus de cette beauté d’autrefois que de grands yeux fiévreux creusés par la souffrance, et le plus tendre sourire de ses lèvres décolorées.

Depuis sa dernière couche, qui l’avait rendue mère de sa petite Berthe, la maladie, dont les progrès devaient être si rapides, s’était déclarée, et sa jeunesse s’était rapidement envolée.

En trois ans, elle avait vieilli de dix années, plus encore peut-être sous l’étreinte de douleurs morales que par le fait de la souffrance physique.

En se voyant condamnée, en pleine jeunesse, à abandonner ses droits, ses devoirs, ses joies d’épouse, Mme  de Ferney, qui aimait passionnément son mari, sentit s’éveiller en elle des sentiments jusqu’alors ignorés. Elle devint jalouse et, craignant d’être trop vite oubliée, ne put se pardonner les privations qu’elle imposait à cet homme jeune encore. Mais, dissimulant avec courage ses tortures, prête à tous les sacrifices, ne laissant jamais échapper une plainte, s’exaltant dans son rôle de martyre, le mal la trouva sans défense, à la merci de son œuvre implacable.

Si, détournant ses yeux de ce triste tableau, Mme  de Ferney arrêtait ses regards sur ses enfants, elle ne souffrait pas moins cruellement.

Après elle, car elle ne se dissimulait pas la gravité de son état, que deviendraient ces êtres chéris ?

Quoique M. de Ferney fût un excellent père, bien qu’il fût, — elle n’en doutait pas, — l’homme de l’honneur et du devoir, elle ne pouvait penser, en raison de la nature de son esprit et de ses occupations, qu’il la remplacerait jamais auprès de ceux qu’elle aimait tant !

Alors, à quelles mains mercenaires seraient-ils confiés ? Ses filles, ses filles surtout, que deviendraient-elles ?

Et la malheureuse femme étouffait ses sanglots pour qu’on ne les entendît pas ; elle arrêtait ses larmes pour qu’on n’en vît pas le sillon sur ses joues amaigries. Elle souriait à son mari ; elle souriait à ses enfants, quand la mort était en son âme ainsi qu’en ses veines.

Aussi, lorsque M. de Ferney vint lui rapporter l’entretien qu’il avait eu avec Mlle  Reboul, fut-elle immédiatement de son avis et lui conseilla-t-elle d’écrire à la jeune fille, pour qu’elle se rendît le lendemain auprès d’elle.

Pendant ce temps-là, Jeanne rentrait à son couvent où, après avoir rendu compte à la supérieure de sa visite, elle courut s’enfermer dans la chambre plus que modeste qu’elle occupait.

Là, seule, elle réfléchit un instant, puis s’asseyant devant un petit bureau, elle attira à elle une feuille de papier et se mit à tracer rapidement les lignes suivantes :


« Ma chère Françoise, je vais enfin partir pour Paris ; je ne sais encore ce que l’avenir me réserve, mais j’ai le pressentiment qu’une existence toute nouvelle va