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voilant le visage de ses deux mains, émotion que le forçat n’avait accueillie que par un bruyant éclat de rire.

Lorsque la marâtre s’était trouvée en face de Louis pour la première fois, le jour où Sarah Bernier le lui avait amené, elle avait eu le pressentiment que c’était là l’enfant que, plus de quinze ans auparavant, elle avait confié à sa sœur ; mais elle s’était efforcée néanmoins de repousser cette pensée qui l’épouvantait, malgré son cynisme.

Elle eût préféré ne jamais savoir où était son fils plutôt que d’apprendre la triste façon dont il avait tourné.

La sœur de la brocanteuse ne voulait pas se souvenir que c’était volontairement qu’elle avait abandonné cet enfant, dont la présence auprès d’elle ne lui aurait pas permis de vivre à sa guise et de poursuivre ses projets ambitieux.

Elle ne se rappelait plus qu’après avoir donné diverses sommes d’argent à la Fismoise pour se charger de ce fruit de ses anciennes amours avec Justin Delon, elle s’était toujours gardée de lui demander ce que ce fils était devenu, ni comment elle l’avait élevé.

Mais ce dont Pierre se souvenait, lui, c’est que, lorsqu’il avait été condamné, sa sœur avait été enchantée d’en être débarrassée, et que loin d’user de ses amis pour obtenir sa commutation de peine, elle ne s’était servie de son influence, au contraire, que pour le faire envoyer à Cayenne, dans l’espoir que la fièvre jaune aurait raison du héros de cour d’assises dont l’échafaud ne voulait pas.

Aussi le forçat, comme nous venons de le dire, ne répondit-il aux plaintes de sa sœur que par un éclat de rire.

— Allons, allons, assez de jérémiades et de grimaces ! gronda-t-il en l’arrachant à ses tristes et trop tardives réflexions, réglons nos comptes.

— Je vais vous donner les quinze cents francs, murmura-t-elle ; je ne demande pas mieux.

— Ah ! il s’agit bien de cela ! ricana Pierre.

— Quoi donc !

— Tu es riche, fort riche. Tu voulais quitter Paris, où il ne fait pas bon aujourd’hui pour toi ni pour tes amis. Eh bien ! donne-moi, voyons, combien ? Tiens ! cent mille francs, et je te fais filer sans tambour ni trompette !

— Cent mille francs !

— Ah ! c’est à prendre ou à laisser. À moins que tu n’aimes mieux avoir affaire au comité central. Ça te regarde ! Je me charge de lui nommer les gens qui fréquentent tes salons, madame la comtesse ; et tu peux être certaine que ça ne traînera pas longtemps.

— Le comité central !