Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/60

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En se rendant dans son appartement, le magistrat s’était arrêté à la porte de la galerie restée ouverte, et il s’était approché sans bruit, attiré comme fatalement par le groupé gracieux que formaient ses filles et Mlle  Reboul.

— Vois plutôt, ajouta : l’enfant en désignant à son père, de son petit doigt, le mot en litige.

Nous l’avons dit, une seule lampe donnait de la lumière à ce ravissant tableau ; M. de Ferney dut se pencher pour mieux voir ce dont il s’agissait.

Dans ce mouvement, sa tête se trouva auprès de celle de la jeune fille, et celle-ci dut s’incliner un peu de côté pour lui faire place ; mais Berthe, qui attirait son père à elle avec la charmante tyrannie d’un enfant, le poussa si brusquement que les cheveux de Jeanne frôlèrent son visage.

Ce contact ne dura qu’un instant inappréciable, mais son effet fut terrible et spontané comme celui d’une torpille.

Il s’échappait de cette femme si puissamment belle des effluves passionnels de jeunesse qui montaient au cerveau de cet homme condamné par les circonstances à l’existence d’un cénobite, et il se sentit pris de vertige.

Se relevant brusquement, il fut obligé de se soutenir à la chaise sur laquelle Mlle  Reboul était assise. Il lui semblait qu’il allait défaillir.

Jeanne, pâle, mais les traits immobiles, s’était renversée sur son siège, et ses grands yeux aux regards d’acier fouillèrent, en moins d’une seconde, ce cœur de sage que le désir immodéré plus encore que l’amour venait d’envahir.

Les chastes fillettes n’avaient rien remarqué.

Étonnée seulement du mouvement en arrière de son père et de son silence, Berthe se retourna vers lui.

— Eh bien ? lui dit-elle une seconde fois.

— Oui, tu as raison, balbutia M. de Ferney en s’arrachant au charme par un effort désespéré.

Et il s’enfuit en trébuchant comme un homme ivre.

L’institutrice ne détourna pas la tête, mais elle eut un étrange sourire.

Un quart d’heure plus tard, aussi tranquillement que si rien ne s’était passé, elle prit les enfants par la main, les conduisit à leur chambre, et, après avoir assisté à leur coucher, s’en revint pour rentrer dans son appartement.

Elle était arrivée à la porte de la galerie qu’il lui fallait traverser pour s’y rendre et elle allait lentement, car cette porte, qui était fermée, laissait le vestibule dans l’obscurité, lorsqu’elle se sentit saisie par la taille, et, au même instant, un baiser, qui cherchait ses lèvres, s’imprima brûlant sur une de ses joues.

Jeanne ne jeta pas un cri ; d’un mouvement de félin, elle glissa entre les bras qui s’efforçaient de la retenir ; puis, son agresseur s’étant rapproché d’elle pour renouveler sa tentative, elle bondit en avant, ouvrit la porte de la galerie, y prit la lampe qui se trouvait sur la table et s’élança vers sa chambre, sans jeter un regard en arrière.

Tout cela s’était passé en moins d’une minute, et sans bruit.

Parvenue chez elle, Mlle  Reboul, plus émue qu’elle ne paraissait l’être, prêta l’oreille. La galerie était déserte.