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La mourante lui parla quelques instants à voix basse, le prête la bénit et, devant les assistants agenouillés, lui donna les derniers sacrements.

Deux heures se passèrent ensuite sans que Mme de Ferney fît un mouvement, sans qu’elle prononçât une parole.

Ses yeux ne voyaient plus que par intervalles. Elle confondait dans ses dernières caresses son fils et ses filles, que son mari élevait l’une après l’autre jusqu’à elle, passait ses mains tremblantes sur leurs visages, et remuait les lèvres sans qu’elles émissent aucun son.

Puis, vers la fin de l’après-midi, ses yeux s’ouvrirent démesurément, elle eut comme un hoquet, on l’entendit prononcer distinctement : Mademoiselle Reboul… Robert… mes enfants… mes pauvres petites filles !

Et elle expira.

M. de Ferney, qui se tenait debout au chevet du lit de sa femme, s’agenouilla sur le parquet.

La sœur de charité courut chercher Raoul et ses sœurs pour leur faire embrasser leur mère une dernière fois, et l’abbé Colomb, qui ne s’était pas éloigné, commença la prière des morts.

En remontant, les enfants trouvèrent Mlle Reboul en haut de l’escalier.

Penchée sur la rampe, absorbée dans ses pensées, elle semblait ne voir ni entendre.

Raoul passa son chemin en pleurant, mais les fillettes, quittant la domestique qui les conduisait, s’élancèrent pour se jeter dans les bras de leur institutrice.

Jeanne ne les ouvrit pas ; elle ordonna sèchement à la femme de chambre de coucher Berthe et Louise, et, sans même leur donner le baiser du soir, elle disparut dans la galerie.

Le lendemain matin, au moment où Mlle Reboul se disposait à sortir de chez elle, on frappa à sa porte.

Elle ouvrit et ne put dissimuler un mouvement de surprise.

C’était l’abbé Colomb.

L’expression de son visage était plus grave encore que de coutume. Son salut fut plus cérémonieux que d’ordinaire.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, lui dit-il, de venir chez vous et d’aussi bonne heure, mais la mission que j’ai à remplir ne souffre pas de retard ; de plus, personne que vous ne doit m’entendre.

— Je suis à vos ordres, monsieur l’abbé, répondit Jeanne en offrant un siège à son visiteur.

Celui-ci refusa du geste.

— Parlez, alors, reprit la jeune fille en dissimulant de son mieux l’émotion que qui causait l’attitude inaccoutumée du prêtre ; je vous écoute.

— Mademoiselle, je vous apporte, sans y changer une syllabe et sans me permettre de les interpréter, les dernières paroles d’une mourante. J’ai promis à Mme de Ferney ; je tiens ma promesse. Voici ces paroles : « Dites à Mlle Reboul que je la prie de me pardonner. »

— C’est tout, monsieur l’abbé ? Je ne comprends pas !

— C’est tout, mademoiselle !