Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 2 Les Apotres, Levy, 1866.djvu/451

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tout su d’original[1], un spectacle que la population semble devoir n’oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd’hui, se met sur cette matière, on peut juger de l’admiration mêlée d’horreur que la foule éprouva et que les années n’ont pas diminuée. On vit s’avancer entre les bourreaux des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées, flamblantes, fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes et on les faisait marcher à coups de fouet. Enfants et femmes s’avançaient en chantant un verset qui dit : « En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons à lui ! » Leurs voix s’élevaient éclatantes au-dessus du silence profond de la foule. Quand un des suppliciés tombait et qu’on le faisait relever à coups de fouet ou de baïonnette, pour peu que la perte de son sang, qui ruisselait sur tous ses membres, lui laissât encore un peu de force, il se mettait à danser et criait avec un surcroît d’enthousiasme : « En vérité, nous sommes à Dieu et nous retournons à lui ! » Quelques-uns des enfants expirèrent dans le trajet. Les bourreaux jetèrent leurs corps sous les pieds de leurs pères et de leurs sœurs, qui marchèrent fièrement dessus et ne leur donnèrent pas deux regards.

  1. M. de Gobineau, ouvr. cit., p. 301 et suiv.