Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 2 Les Apotres, Levy, 1866.djvu/92

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mais lui, ils ne l’ont pas vu. » L’inconnu était un homme pieux, versé dans les Écritures, citant Moïse et les prophètes. Ces trois bonnes personnes lièrent amitié. À l’approche d’Emmaüs, comme l’inconnu allait continuer sa route, les deux disciples le supplièrent de prendre le repas du soir avec eux. Le jour baissait ; les souvenirs des deux disciples deviennent alors plus poignants. Cette heure du repas du soir était celle que tous se rappelaient avec le plus de charme et de mélancolie. Combien de fois n’avaient-ils pas vu, à ce moment-là, le maître bien-aimé oublier le poids du jour dans l’abandon de gais entretiens, et, animé par quelques gouttes d’un vin très noble, leur parler du fruit de la vigne qu’il boirait nouveau avec eux dans le royaume de son Père. Le geste qu’il faisait en rompant le pain et en le leur offrant, selon l’habitude du chef de maison chez les Juifs, était profondément gravé dans leur mémoire. Pleins d’une douce tristesse, ils oublient l’étranger ; c’est Jésus qu’ils voient tenant le pain, puis le rompant et le leur offrant. Ces souvenirs les préoccupent à un tel point, qu’ils s’aperçoivent à peine que leur compagnon, pressé de continuer sa route, les a quittés. Et quand ils furent sortis de leur rêverie : « Ne sentions-nous pas, se dirent-ils, quelque chose d’étrange ? Ne te souviens-tu pas que notre