Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 2 Les Apotres, Levy, 1866.djvu/96

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lance et des clous. On dit que, huit jours après, il fut satisfait[1]. Mais il en resta sur lui une tache légère et comme un doux reproche. Par une vue instinctive d’une exquise justesse, on comprit que l’idéal ne veut pas être touché avec les mains, qu’il n’a nul besoin de subir le contrôle de l’expérience. Noli me tangere est le mot de toutes les grandes amours. Le toucher ne laisse rien à la foi ; l’œil, organe plus pur et plus noble que la main, l’œil, que rien ne souille, et par qui rien n’est souillé, devint même bientôt un témoin superflu. Un sentiment singulier commença à se faire jour ; toute hésitation parut un manque de loyauté et d’amour ; on eut honte de rester en arrière ; on s’interdit de désirer voir. Le dicton « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru[2] ! » devint le mot de la situation. On trouva quelque chose de plus généreux à croire sans preuve. Les vrais amis de cœur ne voulurent pas avoir eu de vision[3], de même que, plus tard, saint Louis refusait d’être témoin d’un miracle eucharis-

  1. Jean, xx, 24-29 ; comparez Marc, xvi, 14 : Luc, xxiv, 39-40, et la finale de Marc, conservée par saint Jérôme, Adv. Pelag., II (v. ci-dessus, p. 7).
  2. Jean, xx, 29.
  3. Il est bien remarquable, en effet, que Jean, sous le nom duquel nous a été transmis le dicton précité, n’a pas de vision particulière pour lui seul. Cf. I Cor., xv, 5-8.