Page:Renan - Histoire des origines du christianisme - 4 Antechrist, Levy, 1873.djvu/183

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L’idéal de la Passion, ce touchant tableau de Jésus souffrant sans rien dire, exerçait déjà, on le voit, une influence décisive sur la conscience chrétienne. On peut douter que le récit en fût déjà écrit ; ce récit se chargeait tous les jours de circonstances nouvelles[1] ; mais les traits essentiels, fixés dans la mémoire des fidèles, étaient pour eux de perpétuelles exhortations à la patience. Une des principales thèses chrétiennes était « que le Messie devait souffrir[2] ». Jésus et le vrai chrétien se présentaient de plus en plus à l’imagination sous la forme d’un agneau silencieux entre les mains du boucher. On l’embrassait en esprit, ce doux agneau tué jeune par les méchants ; on renchérissait sur les traits d’affectueuse compassion, d’amoureuse tendresse d’une Madeleine auprès du tombeau. Cette innocente victime, avec le couteau enfoncé dans la plaie, arrachait des larmes à tous ceux qui l’avaient connue. L’expression d’« Agneau de Dieu » pour désigner Jésus était déjà formée[3] ; on y mêlait l’idée de

  1. Le passage I Petri, ii, 23, suppose que le trait de Jésus priant pour ses bourreaux (Luc, xxiii, 34) n’était pas connu de Pierre ou de l’auteur de l’épître quel qu’il soit.
  2. Luc, xxiv, 26 ; Act., xvii, 3 ; xxvi, 23.
  3. I Petri, i, 19 ; ii, 22-25 ; Act., viii, 32 ; Jean, i, 29, 36 ; Apocalypse tout entière ; Epistola Barnabæ, c. 5.