Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/193

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était proche et qu’il fallait s’y préparer, il n’eût pas dépassé Jean-Baptiste. Renoncer à un monde près de crouler, se détacher peu à peu de la vie présente, aspirer au règne qui allait venir, tel eût été le dernier mot de sa prédication. L’enseignement de Jésus eut toujours une bien plus large portée. Il se proposa de créer un état nouveau de l’humanité, et non pas seulement de préparer la fin de celui qui existe. Élie ou Jérémie, reparaissant pour disposer les hommes aux crises suprêmes, n’eussent point prêché comme lui. Cela est si vrai, que cette morale prétendue des derniers jours s’est trouvée être la morale éternelle, celle qui a sauvé l’humanité. Jésus lui-même, dans beaucoup de cas, se sert de manières de parler qui ne rentrent pas du tout dans la théorie d’un royaume de Dieu matériel. Souvent il déclare que le royaume de Dieu est déjà commencé, que tout homme le porte en soi et peut, s’il en est digne, en jouir ; que, ce royaume, chacun le crée sans bruit par la vraie conversion du cœur. Le royaume de Dieu n’est alors que le bien, un ordre de choses meilleur que celui qui existe, le règne de la justice, que le fidèle, selon sa mesure, doit contribuer à fonder, ou encore la liberté de l’âme, quelque chose d’analogue à la « délivrance » bouddhique, fruit du détachement. Ces vérités, qui sont pour nous purement abstraites, étaient pour Jésus des réalités vivantes. Tout est dans sa pensée concret et substantiel : Jésus est