Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/194

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l’homme qui a cru le plus énergiquement à la réalité de l’idéal.

Et ne dites pas que c’est là une interprétation bienveillante, imaginée pour laver l’honneur de notre grand maître du cruel démenti infligé à ses rêves par la réalité. Non, non. Par une illusion commune à tous les grands réformateurs, Jésus se figurait le but beaucoup plus proche qu’il n’était ; il ne tenait pas compte de la lenteur des mouvements de l’humanité ; il s’imaginait réaliser en un jour ce qui, dix-huit cents ans plus tard, ne devait pas encore être achevé. Mais le vrai royaume de Dieu, le royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui, comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde, et sous les rameaux duquel les oiseaux ont leur nid, Jésus l’a compris, l’a voulu, l’a fondé. A côté de l’idée fausse d’un avénement prochain, au son de la trompette, il a conçu la réelle cité de Dieu, la renaissance véritable, le sermon sur la montagne, l’apothéose du faible, l’amour du peuple, le goût du pauvre, la réhabilitation de tout ce qui est humble, vrai et naïf. Cette réhabilitation, il l’a rendue en artiste incomparable par des traits qui dureront éternellement. Chacun de nous lui doit ce qu’il y a de meilleur en lui. Pardonnons-lui son espérance d’une venue à grand triomphe sur les nuées du ciel. Peut-être était-ce là l’erreur des autres plutôt que la sienne, et, s’il est