Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/260

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le revit-elle en songe, et le sang de ce beau jeune homme, qui allait être versé, lui donna-t-il le cauchemar. Ce qu’il y a de certain, c’est que Jésus trouva Pilate prévenu en sa faveur. Le gouverneur l’interrogea avec bonté et avec l’intention de chercher tous les moyens de le renvoyer absous.

Le titre de « roi des Juifs, » que Jésus ne s’était jamais attribué, mais que ses ennemis présentaient comme le résumé de son rôle et de ses prétentions, était naturellement celui par lequel on pouvait exciter les ombrages de l’autorité romaine. C’est par ce côté, comme séditieux et comme coupable de crime d’État, qu’on se mit à l’accuser. Rien n’était plus injuste ; car Jésus avait toujours reconnu l’empire romain pour le pouvoir établi. Mais les partis religieux conservateurs n’ont pas coutume de reculer devant la calomnie. On tirait malgré lui toutes les conséquences de sa doctrine ; on le transformait en disciple de Juda le Gaulonite ; on prétendait qu’il défendait de payer le tribut à César. Pilate lui demanda s’il était réellement le roi des Juifs. Jésus ne dissimula rien de ce qu’il pensait. Mais la grande équivoque qui avait fait sa force, et qui après sa mort devait constituer sa royauté, le perdit cette fois. Idéaliste, c’est-à-dire ne distinguant pas l’esprit et la matière, Jésus, la bouche armée de son glaive à deux tranchants, selon l’image de l’Apocalypse, ne rassura jamais complétement les puissances de la terre. S’il faut en croire