Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à l’ascétisme pur, il restera toujours, comme les pyramides, un de ces grands monuments des besoins intimes de l’homme, se produisant avec énergie et grandeur, mais avec trop peu de conscience et de raison. Le principe de l’ascétisme est éternel dans l’humanité ; le progrès de la réflexion lui donnera une direction plus rationnelle (38). L’ascète de l’avenir ne sera pas le trappiste, un des types d’homme les plus imparfaits ; ce sera l’amant du beau pur, sacrifiant à ce cher idéal tous les soins personnels de la vie inférieure.

Les Anglais ont cru faire pour la saine morale en interdisant dans l’Inde les processions ensanglantées par des sacrifices volontaires, le suicide de la femme sur le tombeau du mari. Étrange méprise ! Croyez-vous que ce fanatique qui va poser avec joie sa tête sous les roues du char de Jagatnata n’est pas plus heureux et plus beau que vous, insipides marchands ? Croyez-vous qu’il ne fait pas plus d’honneur à la nature humaine en témoignant, d’une façon irrationnelle sans doute mais puissante, qu’il y a dans l’homme des instincts supérieurs à tous les désirs du fini et à l’amour de soi-même ! Certes si l’on ne voyait dans ces actes que le sacrifice à une divinité chimérique, ils seraient tout simplement absurdes. Mais il faut y voir la fascination que l’infini exerce sur l’homme, l’enthousiasme impersonnel, le culte du suprasensible. Et c’est à ces superbes débordements des grands instincts de la nature humaine que vous venez tracer des limites, avec votre petite morale et votre étroit bon sens Il y a dans ces grands abus pittoresques de la nature humaine une audace, une spontanéité que n’égalera jamais l’exercice sain et régulier de la raison, et que préféreront toujours l’artiste et le poète (39). Un développement