Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/151

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de la science. Les premières études que l’on consacre à apprendre le bagage matériel d’une langue seraient sans cela insupportables, et grâce à ce goût, elles deviennent des plus attrayantes qui se puissent imaginer.

On peut affirmer que sans cet attrait, jamais les premiers érudits des temps modernes, qui n’étaient soutenus ni par une haute vue philosophique, ni par un motif immédiatement religieux, n’eussent entrepris ces immenses travaux, qui nous rendent possibles les recherches de haute critique. Celui qui, avec nos besoins intellectuels plus excités, ferait maintenant un tel acte d’abnégation, serait un héros. Mais ce qu’il importe de maintenir, c’est que cette curiosité n’a aucune valeur morale immédiate, et qu’elle ne peut constituer le savant. Il y a des industriels qui exploitent la science pour leur profit ; ceux-ci l’exploitent pour leur plaisir. Cela vaut mieux sans doute ; mais enfin il n’y a pas l’infini de l’un à l’autre. Le plaisir étant essentiellement personnel et intéressé, n’a rien de sacré, rien de moral. Toute littérature, toute poésie, toute science, qui ne se propose que d’amuser ou d’intéresser, est par ce fait même frivole et vaine, ou pour mieux dire, n’a plus aucun droit à s’appeler littérature, poésie, science. Les bateleurs en font autant, et même y réussissent beaucoup mieux. D’où vient que l’on regarde comme une occupation sérieuse de lire Corneille, Gœthe, Byron, et que l’on ne se permet de lire tel roman, tel drame moderne, qu’à titre de passe-temps ? De la même raison qui fait que la Revue d’Édimbourg ou la Quarlerly Review sont des recueils sérieux, et que le Magasin pittoresque est un livre frivole.

C’est donc humilier la science que de ne la relever que comme intéressante et curieuse. L’ascétisme chrétien