Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/162

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renoncer définitivement à la tentative de la vieille école, de construire la théorie des choses par le jeu des formules vides de l’esprit, à peu près comme si, en faisant aller )a manivelle d’un tisserand sans y mettre du fil, on prétendait faire de la toile, ou qu’on crût obtenir de la farine en faisant tourner un moulin sans y mettre du blé. Le penseur suppose l’érudit ; et ne fût-ce qu’en vue de la sévère discipline de l’esprit, je ferais peu de cas du philosophe qui n’aurait pas travaillé, au moins une fois dans sa vie, à éclaircir quelque point spécial de la science. Sans doute les deux rôles peuvent se séparer, et ce partage même est souvent désirable. Mais il faudrait au moins qu’un commerce intime s’établit entre ces fonctions diverses, que les travaux de l’érudit ne demeurassent plus ensevelis dans la masse des collections savantes, où ils sont comme s’ils n’étaient pas, et que le philosophe, d’un autre côté, ne s’obstinât plus à chercher au dedans de lui-même les vérités vitales dont les sciences du dehors sont si riches pour celui qui les explore avec intelligence et critique.

D’où viennent tant de vues nouvelles sur la marche des littératures et de l’esprit humain, sur la poésie spontanée, sur les âges primitifs, si ce n’est de l’étude patiente des plus arides détails. Vico, Wolf, Niebuhr, Strauss auraient-ils enrichi la pensée de tant d’aperçus nouveaux, sans la plus minutieuse érudition ? N’est-ce pas l’érudition qui a ouvert devant nous ces mondes de l’Orient, dont la connaissance a rendu possible la science comparée des développements de l’esprit humain ? Pourquoi un des plus beaux génies des temps modernes, Herder, dans ce traité de la Poésie des Hébreux, où il a mis toute son âme, est-il si souvent inexact, faux, chimérique, si ce n’est pour n’avoir point appuyé d’une critique savante l’admirable sens