Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esthétique dont il était doué ? À ce point de vue, l’étude même des folies de l’esprit a son prix pour l’histoire et la psychologie. Plusieurs problèmes importants de critique historique ne seront résolus que quand un érudit intelligent aura consacré sa vie au dépouillement du Talmud et de la Cabbale. Si Montesquieu, dépouillant le chaos des lois ripuaires, visigothes et burgondes, a pu se comparer à Saturne dévorant des pierres, quelle force ne faudrait-il pas supposer à l’esprit capable de digérer un tel fatras ? Et pourtant il y aurait à en extraire une foule de données précieuses pour l’histoire des religions comparées.

Depuis le xve siècle, les sciences qui ont pour objet l’esprit humain et ses œuvres n’ont pas fait de découverte comparable à celle qui nous a révélé dans l’Inde un monde intellectuel d’une richesse, d’une variété, d’une profondeur merveilleuses, une autre Europe en un mot. Parcourez nos idées les plus arrêtées en littérature comparée, en linguistique, en ethnographie, en critique, vous les verrez toutes empreintes et modifiées par cette grande et capitale découverte. Pour moi, je trouve peu d’éléments de ma pensée dont les racines ne plongent en ce terrain sacré, et je prétends qu’aucune création philosophique n’a fourni autant de parties vivantes à la science moderne que cette patiente restitution d’un monde qu’on ne soupçonnait pas. Voilà donc une série de résultats essentiels introduits dans le courant de l’esprit humain par des philologues, des érudits, des hommes dont les partisans de l’a priori feraient sans doute bien peu de cas. Que sera-ce donc quand cette mine à peine effleurée aura été exploitée dans tous les sens ? Que sera-ce, quand tous les recoins de l’esprit humain auront été ainsi explorés et comparés ? Or la philologie seule est compétente pour accomplir cette