Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme Kant que toute démonstration purement spéculative n’a pas plus de valeur qu’une démonstration mathématique, et ne peut rien apprendre sur la réalité existante. La philologie (69) est la science exacte des choses de l’esprit. Elle est aux sciences de l’humanité ce que la physique et la chimie sont à la science philosophique des corps.

C’est ce que n’a pas suffisamment compris un esprit distingué d’ailleurs par son originalité et son honorable indépendance, M. Auguste Comte. Il est étrange qu’un homme préoccupé surtout de la méthode des sciences physiques et aspirant à transporter cette méthode dans les autres branches de la connaissance humaine, ait conçu la science de l’esprit humain et celle de l’humanité de la façon la plus étroite, et y ait appliqué la méthode la plus grossière.

M. Comte n’a pas compris l’infinie variété de ce fond fuyant, capricieux, multiple, insaisissable, qui est la nature humaine. La psychologie est pour lui une science sans objet, la distinction des faits psychologiques et physiologiques, la contemplation, de l’esprit par lui-même, une chimère. La sociologie résume toutes les sciences de l’humanité : or la sociologie n’est pas pour lui la constatation sévère, patiente, de tous les faits de la nature humaine ; la sociologie n’est pas (c’est M. Comte qui parle) cette incohérente compilation de faits qu’on appelle histoire, à laquelle préside la plus radicale irrationalité. Elle se contente d’emprunter des exemples à cette indigeste compilation, puis se met à l’ouvrage sur ses propres frais, sans se soucier de connaissances littéraires fort inutiles. La méthode de M. Comte dans les sciences de l’humanité est donc le pur a priori (70). M. Comte, au lieu de suivre les lignes infiniment flexueuses de la