Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ce soit là une critique : cette marche de la science est légitime. Au syncrétisme primitif, à l’étude vague et approximative doit succéder la rigueur de la scrupuleuse analyse. L’étude superficielle du tout doit faire place à l’examen approfondi et successif des parties ; mais il faut se garder de croire que là se ferme le cercle de l’esprit humain, et que la connaissance des détails en soit le terme définitif. Si le but de la science était de compter les taches de l’aile d’un papillon, ou d’énumérer dans une langue souvent barbare les diverses espèces de la flore d’un pays, il vaudrait mieux, ce semble, revenir à la définition platonicienne et déclarer qu’il n’y a pas de science de ce qui passe. Il est bon sans doute que l’étude expérimentale se disperse par l’analyse sur toutes les individualités de l’univers, mais c’est à condition qu’un jour elle se recueille en une parfaite synthèse, bien supérieure au syncrétisme primitif, parce qu’elle sera fondée sur la connaissance distincte des parties. Quand la dissection aura été poussée jusqu’à ses dernières limites (et on peut croire que dans quelques sciences cette limite a été atteinte), alors on commencera le mouvement de comparaison et de recomposition. Nous aurons eu l’œuvre humiliante et laborieuse et pourtant, quand l’avenir nous aura dépassés en profitant de nos travaux, on reprochera peut-être aussi durement à la science du xviiie et du xixe siècle d’avoir été minutieuse et pragmatique, que nous reprochons aux anciens d’avoir été sommaires et hypothétiques. Tant il est difficile de savoir apprécier la nécessité et la légitimé des révolutions successives de l’esprit humain.

Une conséquence de cette méthode fragmentaire et partielle de la science moderne a été de bannir de la philo-