Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/23

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être soigneusement dissimulé. Les hommes se révolteraient, s’ils savaient qu’ils sont ainsi exploités.

Combien de temps l’esprit national l’emportera-t-il encore sur l’égoïsme individuel ? Qui aura, dans des siècles, le plus servi l’humanité, du patriote, du libéral, du réactionnaire, du socialiste, du savant ? Nul ne le sait, et pourtant il serait capital de le savoir, car ce qui est bon dans une des hypothèses est mauvais dans l’autre. On aiguille sans savoir où l’on veut aller. Selon le point qu’il s’agit d’atteindre, ce que fait la France, par exemple, est excellent ou détestable. Les autres nations ne sont pas plus éclairées. La politique est comme un désert où l’on marche au hasard, vers le nord, vers le sud, car il faut marcher. Nul ne sait, dans l’ordre social, où est le bien. Ce qu’il y a de consolant, c’est qu’on arrive nécessairement quelque part. Dans le jeu de tir à la cible auquel s’amuse l’humanité, le point atteint paraît le point visé. Les hommes de bonne volonté ont toujours ainsi la conscience en repos. La liberté, d’ailleurs, dans le doute général où nous sommes, a sa valeur en tout cas ; puisqu’elle est une manière de laisser agir le ressort secret qui meut l’humanité, et qui bon gré mal gré l’emporte toujours.

En résumé, si, par l’incessant travail du xixe siècle