Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/24

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la connaissance des faits s’est singulièrement augmentée, la destinée humaine est devenue plus obscure que jamais. Ce qu’il y a de grave, c’est que nous n’entrevoyons pas pour l’avenir, à moins d’un retour à la crédulité, le moyen de donner à l’humanité un catéchisme désormais acceptable. Il est donc possible que la ruine des croyances idéalistes soit destinée à suivre la ruine des croyances surnaturelles, et qu’un abaissement réel du moral de l’humanité date du jour où elle a vu la réalité des choses. À force de chimères, on avait réussi à obtenir du bon gorille un effort moral surprenant ; ôtées les chimères, une partie de l’énergie factice qu’elles éveillaient disparaîtra. Même la gloire, comme force de traction, suppose à quelques égards l’immortalité, le fruit n’en devant d’ordinaire être touché qu’après la mort. Supprimez l’alcool au travailleur dont il fait la force, mais ne lui demandez plus la même somme de travail.

Je le dis franchement, je ne me figure pas comment on rebâtira, sans les anciens rêves, les assises d’une vie noble et heureuse. L’hypothèse où le vrai sage serait celui qui, s’interdisant les horizons lointains, renferme ses perspectives dans les jouissances vulgaires, cette hypothèse, dis-je, nous répugne absolument. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que le bon-