Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/231

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depuis longtemps formé un nouvel idiome, n’est pas, comme on voudrait trop souvent le faire croire, l’effet d’un choix arbitraire, mais bien une des lois les plus générales de l’histoire des langues, loi qui ne tient en rien au caprice ou aux opinions littéraires de telle ou telle époque. C’est, en effet, mal comprendre le rôle et la nature des langues classiques que de donner à cette dénomination un sens absolu, et de la restreindre à un ou deux idiomes, comme si c’était par un privilège essentiel et résultant de leur nature qu’ils fussent prédestinés à être l’instrument d’éducation de tous les peuples. Leur existence est un fait universel de linguistique, et leur choix, de même qu’il n’a rien d’absolu pour tous les peuples, n’a rien d’arbitraire pour chacun d’eux.

L’histoire générale des langues a depuis longtemps amené à constater ce fait remarquable que, dans tous les pays où s’est produit quelque mouvement intellectuel, deux couches de langues se sont déjà superposées, non pas en se chassant brusquement l’une l’autre, mais la seconde sortant par d’insensibles transformations de la poussière de la première. Partout une langue ancienne a fait place à un idiome vulgaire, qui ne constitue pas à vrai dire une langue différente, mais plutôt un âge différent de celle qui l’a précédé ; celle-ci plus savante, plus synthétique, chargée de flexions qui expriment les rapports les plus délicats de la pensée, plus riche même dans son ordre d’idées, bien que cet ordre d’idées fût comparativement plus restreint ; image en un mot de la spontanéité primitive, où l’esprit confondait les éléments dans une obscure unité, et perdait dans le tout la vue analytique des parties ; le dialecte moderne, au contraire, correspondant à un progrès d’analyse, plus clair, plus expli-