Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/230

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se garder de troubler par le mélange de l’antique cette veine de production nouvelle. Les tons en littérature sont d’autant plus beaux qu’ils sont plus vrais et plus purs ; à l’érudit, au critique appartiennent l’universalité et l’intelligence des formes les plus diverses ; au contraire une note étrangère ne pourra qu’inquiéter et troubler le poète original et créateur. Mais lors même que les temps modernes trouveraient une poésie et une philosophie qui les représentent avec autant de vérité qu’Homère et Platon représentaient la Grèce de leur temps, alors encore l’étude de l’antiquité aurait sa valeur au point de vue de la science. D’ailleurs les considérations de M. Welcker ne suffiraient pas pour faire l’apologie de toutes les études philologiques. Si on ne cultive les littératures anciennes que pour y chercher des modèles, à quoi bon cultiver celles qui, tout en ayant leurs beautés originales, ne sont point imitables pour nous ? Il faudrait se borner à l’antiquité grecque et latine, et même dans ces limites l’étude des chefs-d’œuvre seule aurait du prix. Or, les littératures de l’Orient, que M. Welcker traite avec beaucoup de mépris, et les œuvres de second ordre des littératures classiques, si elles servent moins à former le goût, offrent quelquefois plus d’intérêt philosophique et nous en apprennent plus sur l’histoire de l’esprit humain, que les monuments accomplis des époques de perfection.

Le fait des langues classiques n’a d’ailleurs rien d’absolu. Les littératures grecque et latine sont classiques par rapport à nous, non pas parce qu’elles sont les plus excellentes des littératures, mais parce qu’elles nous sont imposées par l’histoire. Ce fait d’une langue ancienne, choisie pour servir de base à l’éducation et concentrant autour d’elle les efforts littéraires d’une nation qui s’est