Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/234

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divers pays où le fait se vérifie, et désignant des emplois qui ne vont pas d’ordinaire l’un sans l’autre. Chez les nations orientales, par exemple, où le livre antique ne tarde jamais à devenir sacré, c’est toujours à la garde de cette langue savante, obscure, à peine connue, que sont confiés les dogmes religieux et là liturgie.

C’est donc un fait général de l’histoire des langues que chaque peuple trouve sa langue classique dans les conditions mêmes de son histoire, et que ce choix n’a rien d’arbitraire. C’est un fait encore que, chez les nations peu avancées, tout l’ordre intellectuel est confié à cette langue, et que, chez les peuples où une activité intellectuelle plus énergique s’est créé un nouvel instrument mieux adapté à ses besoins, la langue antique conserve un rôle grave et religieux, celui de faire l’éducation de la pensée et de l’initier aux choses de l’esprit.

La langue moderne, en effet, étant toute composée de débris de l’ancienne, il est impossible de la posséder d’une manière scientifique, à moins de rapporter ces fragments à l’édifice primitif, où chacun d’eux avait sa valeur véritable. L’expérience prouve combien est imparfaite la connaissance des langues modernes chez ceux qui n’y donnent point pour base la connaissance de la langue antique dont chaque idiome moderne est sorti. Le secret des mécanismes grammaticaux, des étymologies, et par conséquent de l’orthographe, étant tout entier dans le dialecte ancien, la raison logique des règles de la grammaire est insaisissable pour ceux qui considèrent ces règles isolément et indépendamment de leur origine. La routine est alors le seul procédé possible, comme toutes les fois que la connaissance pratique est recherchée à l’exclusion de la raison théorique. On sait sa langue