Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/235

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comme l’ouvrier qui emploie les procédés de la géométrie sans les comprendre sait la géométrie. Formée, d’ailleurs, par dissolution, la langue moderne ne saurait donner quelque vie aux lambeaux qu’elle essaie d’assimiler, sans revenir à l’ancienne synthèse pour y chercher le cachet qui doit imprimer à ces éléments épars une nouvelle unité. De là son incapacité à se constituer par elle-même en langue littéraire, et l’utilité de ces hommes qui durent, à certaines époques, faire son éducation par l’antique et présider, si on peut le dire, à ses humanités. Sans cette opération nécessaire, la langue vulgaire reste toujours ce qu’elle fut à l’origine, un jargon populaire, né de l’incapacité de synthèse et inapplicable aux choses intellectuelles. Non que la synthèse soit pour nous à regretter. L’analyse est quelque chose de plus avancé, et correspond à un état plus scientifique de l’esprit humain. Mais, seule, elle ne saurait rien créer. Habile à décomposer et à mettre à nu les ressorts secrets du langage, elle est impuissante à reconstruire l’ensemble qu’elle a détruit, si elle ne recourt pour cela à l’ancien système, et ne puise dans le commerce avec l’antiquité l’esprit d’ensemble et d’organisation savante. Telle est la loi qu’ont suivie dans leur développement toutes les langues modernes. Or, les procédés par lesquels la langue vulgaire s’est élevée à la dignité de langue littéraire sont ceux-là mêmes par lesquels on peut en acquérir la parfaite intelligence. Le modèle de l’éducation philologique est tracé dans chaque pays par l’éducation qu’a subie la langue vulgaire pour arriver à son ennoblissement.

L’utilité historique de l’étude de la langue ancienne ne le cède point à son utilité philologique et littéraire. Le livre sacré pour les nations antiques était le déposi-