Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/248

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tombeau, vivra comme nous dans ce grand nom immortel (97) ; il aura fourni sa petite part à cette grande résultante. Et quand l’humanité ne sera plus, Dieu sera, et l’humanité aura contribué à le faire, et dans son vaste sein se retrouvera toute vie, et alors il sera vrai à la lettre que pas un verre d’eau, pas une parole qui aura servi l’œuvre divine du progrès ne sera perdue.

Voilà la loi de l’humanité vaste, prodigalité de l’individu, dédaigneuses agglomérations d’hommes (je me figure le mouleur gâchant largement sa matière et s’inquiétant peu que les trois quarts en tombent à terre) l’immense majorité destinée à faire tapisserie au grand bal mené par la destinée, ou plutôt à figurer dans un de ces personnages multiples que le drame ancien appelait le chœur. Sont-ils inutiles ? Non ; car ils ont fait figure ; sans eux les lignes auraient été maigres et mesquines ; ils ont servi à ce que la chose se fît d’une façon luxuriante ; ce qui est plus original et plus grand. Telle religieuse qui vit publiée au fond de son couvent semble bien perdue pour le tableau vivant de l’humanité. Nullement : car elle contribue à esquisser la vie monastique ; elle entre comme un atome dans la grande masse de couleur noire nécessaire pour cela. L’humanité n’eût point été complète, sans la vie monastique ; la vie monastique ne pouvait d’ailleurs être représentée que par un groupe innombrable donc tous ceux qui sont entrés dans ce groupe, quelque oubliés qu’ils soient, ont eu leur part à la représentation de l’une des formes les plus essentielles de l’humanité. En résumé, il y a deux manières d’agir sur le monde, ou par sa force individuelle, ou par le corps dont on fait partie, par l’ensemble où l’on a sa place. Ici l’action de l’individu paraît voilée ; mais en revanche elle est plus puissante, et la