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leurs. La délicatesse beaucoup plus grande des sciences philologiques ne permettrait pas sans doute l’emploi rigoureux d’une telle méthode. J’imagine néanmoins qu’on ne sortira de ce labyrinthe du travail individuel et isolé que par une grande organisation scientifique, où tout sera fait sans épargne comme sans déperdition de forces, et avec un caractère tellement définitif qu’on puisse accepter de confiance les résultats obtenus. On serait parfois tenté de croire que c’est la masse même des travaux scientifiques qui les écrase, et que tout irait mieux si la publicité était plus restreinte. Mais le véritable défaut, c’est le manque d’organisation et de contrôle. Dans un état scientifique bien ordonné, il serait à souhaiter que le nombre des travailleurs fût encore bien plus considérable. Alors le travail ne s’enfouirait pas et ne s’étoufferait pas lui-même, comme un feu où l’aliment est trop pressé. Il est triste de songer que les trois quarts des choses de détail que l’on cherche sont déjà trouvées, tandis que tant d’autres mines où l’on découvrirait des trésors restent sans ouvriers, par suite de la mauvaise direction du travail. La science ressemble de nos jours à une riche bibliothèque bouleversée. Tout y est ; mais avec si peu d’ordre et de classification que tout y est comme s’il n’était pas.

Qu’on y réfléchisse, on verra qu’il est absolument nécessaire de supposer dans l’avenir une grande réforme du travail scientifique (105). La matière de l’érudition, en effet, va toujours croissant d’une manière si rapide, soit par des découvertes nouvelles, soit par la multiplication des siècles, qu’elle finira par dépasser de beaucoup la capacité des chercheurs. Dans cent ans, la France comptera trois ou quatre littératures superposées. Dans cinq cents ans, il y aura deux histoires anciennes. Or si la première, que le