Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/281

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patronner ainsi la science est celle des sinécures. Les sinécures sont indispensables dans la science ; elles sont la forme la plus digne et la plus convenable de pensionner le savant, outre qu’elles ont l’avantage de grouper autour des établissements scientifiques des noms illustres et de hautes capacités. Il n’y a que des barbares ou des gens à courte vue qui puissent se laisser prendre à des objections superficielles comme celles que fait naitre au premier coup d’œil la multiplicité des emplois scientifiques. Il est parfaitement évident que le service de telle bibliothèque, qui compte dix ou douze employés, pourrait se faire tout aussi bien avec deux ou trois personnes (et de fait il n’y a sur le nombre que deux ou trois employés qui fassent quelque chose). Certaines gens en concluraient qu’il faut supprimer tous les autres. Sans doute, si on ne se proposait que de satisfaire aux besoins matériels du service. Chose singulière ! La science, la chose du monde la plus vraiment libérale, n’est largement patronnée qu’en Russie !

Certes il est regrettable qu’il faille descendre à de telles considérations. Mais, dans l’état actuel de l’humanité, l’argent est une puissance intellectuelle, et mérite à ce titre quoique considération. Un million vaut un ou deux hommes de génie, en ce sens qu’avec un million bien employé on peut faire autant pour le progrès de l’esprit humain que feraient un ou deux hommes de premier ordre, réduits aux seules forces de l’esprit. Avec un million, je ferais pénétrer plus profondément les idées modernes dans la masse que ne ferait une génération de penseurs pauvres et sans influence. Avec un million, je ferais traduire le Talmud, publier les Védas, le Nyaya avec ses commentaires, et accomplir une foule de travaux