Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/282

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qui contribueraient plus au progrès de la science qu’un siècle de réflexion métaphysique. Quelle rage de songer qu’avec les sommes que la sotte opulence prodigue selon son caprice, on pourrait remuer le ciel et la terre ! Il ne faut pas espérer que le savant puisse sortir de la condition commune et se passer du pain matériel. Il faut encore moins espérer que les riches, qui sont exempts de ce souci, puissent jamais suffire aux besoins de la science. Les grands instincts scientifiques se développent presque toujours chez des jeunes gens instruits, mais pauvres. Les riches portent toujours dans la science un ton d’amateur superficiel, d’assez mauvais aloi (109). On n’a jamais reproché la religion d’avoir des ministres soumis comme les autres hommes aux besoins matériels et réclamant l’assistance de l’État. Quant à ceux qui ne voient dans la science que l’argent qu’elle procure, nous n’avons rien à en dire : ce sont des industriels, comme tant d’autres, mais non des savants. Quiconque a pu arrêter un instant sa pensée sur l’espoir de devenir riche, quiconque a considéré les besoins extérieurs autrement que comme une chaîne lourde et fatale, a laquelle il faut malheureusement se résigner, ne mérite pas le nom de philosophe. Les grands traitements scientifiques et surtout le cumul auraient sous ce rapport un grave inconvénient, le même que les grandes richesses ont eu pour le clergé ce serait d’attirer des âmes vénales, qui ne voient dans la science qu’un moyen comme un autre de faire fortune ; honteux simoniaques qui portent dans les choses saintes leurs grossières habitudes et leurs vues terrestres. Il faudrait qu’en embrassant la carrière scientifique, on fût assuré de rester pauvre toute sa vie, mais aussi d’y trouver le strict nécessaire ; il n’y aurait alors que les belles