Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/286

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avec son admirable lucidité. Mais ce sera la science qui la démontrera définitivement, et l’appliquera a la solution des plus beaux problèmes. L’histoire primitive, les épopées et les poésies des âges spontanés, les religions, les langues n’auront de sens que quand cette grande distinction sera devenue monnaie courante. Les énormes fautes de critique que l’on commet d’ordinaire en appréciant les œuvres des premiers âges viennent de l’ignorance de ce principe et de l’habitude où l’on est de juger tous les âges de l’esprit humain sur la même mesure. Soit, par exemple, l’origine du langage. Pourquoi débite-t-on sur cette importante question philosophique tant d’absurdes raisonnements ? Parce que l’on applique aux époques primitives des considérations qui n’ont de sens que pour notre âge de réflexion. Quand les plus grands philosophes, dit-on, sont impuissants à analyser le langage, comment les premiers hommes auraient-ils pu le créer ? L’objection ne porte que contre une invention réfléchie. L’action spontanée n’a pas besoin d’être précédée de la vue analytique. Le mécanisme de l’intelligence est d’une analyse plus difficile encore, et pourtant, sans connaître cette analyse, l’homme le plus simple sait en faire jouer tous les ressorts. C’est que les mots facile et difficile n’ont plus de sens, appliqués au spontané. L’enfant qui apprend sa langue, l’humanité qui crée la science, n’éprouvent pas plus de difficulté que la plante qui germe, que le corps organisé qui arrive à son complet développement. Partout c’est le Dieu caché, la force universelle, qui, agissant durant le sommeil ou en l’absence de l’âme individuelle, produit ces merveilleux effets, autant au-dessus de l’artifice humain, que la puissance infinie dépasse les forces limitées.