Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/287

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C’est pour n’avoir pas compris cette force créatrice de la raison spontanée qu’on s’est laissé aller à d’étranges hypothèses sur les origines de l’esprit humain. Quand le Condillac catholique, M. de Bonald, conçoit l’homme primitif sur le modèle d’une statue impuissante, sans originalité ni initiative, sur laquelle Dieu plaque, si j’ose le dire, le langage, la morale, la pensée (comme si on pouvait faire comprendre et parler une souche inintelligente en lui parlant, comme si une telle révélation ne supposait la capacité intérieure de comprendre, comme si la faculté de recevoir n’était pas corrélative à celle de produire), il n’a fait que continuer le xviiie siècle et nier l’originalité interne de l’esprit. Il est également faux de dire que l’homme a créé avec réflexion et délibération le langage, la religion, la morale, et de dire que ces attributs divins de sa nature lui ont été révélés. Tout est l’œuvre de la raison spontanée et de cette activité intime et cachée, qui, nous dérobant le moteur, ne nous laisse voir que les effets. À cette limite, il devient indifférent d’attribuer la causalité à Dieu ou à l’homme. Le spontané est à la fois divin et humain. Là est le point de conciliation des opinions en apparence contradictoires, mais qui ne sont que partielles en leur expression, selon qu’elles s’attachent une face du phénomène plutôt qu’a l’autre.

Les paralogismes que l’on commet sur l’histoire des religions et sur leurs origines tiennent à la même cause. Les grandes apparitions religieuses présentent une foule de faits inexplicables pour celui qui n’en cherche pas la cause au-dessus de l’expérience vulgaire. La formation de la légende de Jésus et tous les faits primitifs du christianisme seraient inexplicables dans le milieu où nous vivons. Que ceux qui se font des lois de l’esprit humain