Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/292

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impertinentes quand il s’agit des littératures primitives, ont leur pleine signification. Ainsi se trouvent placés aux deux pôles de la pensée des poèmes habitues autrefois à se trouver côte à côte, comme l’Iliade et l’Énéide. La théorie générale des mythologies, telle que Heyne, Niebuhr, Ottfried Müller, Bauer, Strauss l’ont établie, se rattache au même ordre de recherches, et suppose le même principe. Les mythologies ne sont plus pour nous des séries de fables absurdes et parfois ridicules, mais de grands poèmes divins, où les nations primitives ont déposé leurs rêves sur le monde suprasensible. Elles valent mieux en un sens que l’histoire ; car, dans l’histoire, il y a une portion fatale et fortuite, qui n’est pas l’œuvre de l’humanité, au lieu que, dans les fables, tout lui appartient ; c’est son portrait peint par elle-même. La fable est libre, l’histoire ne l’est pas. Le Livre des rois, de Firdousi, est sûrement une bien mauvaise histoire de la Perse ; et pourtant ce beau poème nous représente mieux le génie de la Perse que ne le ferait l’histoire la plus exacte ; il nous donne ses légendes et ses traditions épiques, c’est-à-dire son âme. Les érudits regrettent fort que l’Inde ne nous ait laissé aucune histoire. Mais en vérité nous avons mieux que son histoire ; nous avons ses livres sacrés, sa philosophie. Cette histoire ne serait sans doute, comme toutes les histoires de l’Orient, qu’une sèche nomenclature de rois, une série de faits insignifiants. Ne vaut-il pas mieux posséder directement ce qu’il faut péniblement extraire de l’histoire, ce qui seul en fait la valeur, l’esprit de la nation ?

Les races les plus philosophiques sont aussi les plus mythologiques. L’Inde présente l’étonnant phénomène de la plus riche mythologie à côté d’un développement métaphysique bien supérieur à celui de la Grèce, peut-être