Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/293

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même à celui de l’Allemagne. Les trois caractères qui distinguent les peuples indo-germaniques des peuples sémitiques sont que les peuples sémitiques n’ont ni philosophie, — ni mythologie, — ni épopée (114) trois choses au fond très connexes et tenant à une façon toute diverse d’envisager le monde. Les Sémites n’ont jamais conçu le sexe en Dieu ; le féminin du mot Dieu ferait en hébreu le plus étrange barbarisme (115). Par là ils se sont coupé la possibilité de la mythologie et de l’épopée divine la variété d’intrigues ne pouvant avoir lieu sous un Dieu unique et souverain absolu. Sous un tel régime, la lutte n’est pas possible. Le Dieu de Job, ne répondant à l’homme que par des coups de tonnerre, est très poétique, mais nullement épique. Il est trop fort, il écrase du premier coup. Les anges n’offrent aucune variété individuelle, et tous les efforts ultérieurs pour leur donner une physionomie (archanges, séraphins, etc.) n’ont abouti à rien de caractérisé. Et puis quel intérêt prendre à des messagers, à des ministres, sans initiative, ni passion ? Sous le régime de Jéhova, la création mythologique ne pouvait aboutir qu’à des exécuteurs de ses ordres. Aussi le rôle des anges est-il en général froid et monotone, comme celui des messagers et des confidents. La variété est l’élément qui manque le plus radicalement aux peuples d’origine sémitique : leurs poésies originales ne peuvent dépasser un volume. Les thèmes sont peu nombreux et vite épuisés. Ce Dieu isolé de la nature, cette nature que Dieu a faite ne prêtent point à l’incident et à l’histoire. Quelle distance de cette vaste divinisation des forces naturelles, qui est le fond des grandes mythologies à cette étroite conception d’un monde façonné comme un vase entre les mains du potier. Et c’est là que nous avons été