Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/313

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lui se donne la mort. Il a visité les enfers, et se souvient de ses transmigrations. Lui-même se prête complaisamment ou même donne occasion à ces croyances : il reconnaît dans un temple de la Grèce les armes qu’il a portées au siège de Troie. En Orient, Pythagore eût été Buddha. — Cette couleur est encore bien plus frappante dans Empédocle, qui représente trait pour trait le théurge oriental. Prêtre et poète, comme Orphée, médecin et thaumaturge, toute la Sicile racontait ses miracles. Il ressuscitait les morts, arrêtait les vents, détournait la peste. Il ne paraissait en public qu’au milieu d’un cortège de serviteurs, la couronne sacrée sur la tête, les pieds ornés de crépides d’airain retentissantes, les cheveux flottants sur les épaules, une branche de laurier à la main. Sa divinité fut reconnue dans toute la Sicile, il la proclama lui-même. « Amis, qui habitez les hauteurs de la grande ville baignée par le blond Acragas, écrit-il au début d’un de ses poèmes, zélés observateurs de la justice, salut ! Je ne suis pas un homme, je suis un dieu. A mon entrée dans les villes florissantes, hommes et femmes se prosternent. La multitude suit mes pas. Les uns me demandent des oracles, les autres le remède des maladies cruelles dont ils sont tourmentés. » Les procédés par lesquels se forme sa légende miraculeuse rappellent trait pour trait ceux de l’Orient. Une léthargie à laquelle il a mis fin par son art devient une résurrection. Il arrête les vents étésiens qui désolaient Agrigente, en fermant une ouverture entre deux montagnes ; de là le surnom de κολυσανέμας. Il assainit un marais voisin de Sélinonte ; ce qui suffit pour faire de lui un égal d’Apollon. Voilà des analogues bien caractérisés des fondateurs religieux de l’Orient. Mais, hélas ! la Grèce était trop légère pour s’arrêter longtemps à ces