Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/315

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grande veine poétique est perdue, où l’on ne fait que réchauffer les vieilles fables poétiques, d’après des procédés donnés et qu’on ne dépasse plus. Hésiode d’une part, les mythologues alexandrins de l’autre ; les Védas d’une part, les Pouranas de l’autre ; les Évangiles canoniques d’une part, les apocryphes de l’autre, sont autant d’exemples de cette transformation des mythologies. C’est une façon de prendre les mythes du vieux temps et de les amplifier, en fondant tous les traits originaux dans le nouveau récit, et en faisant en quelque sorte la monographie de ce qui, dans la grande fable primitive, n’était qu’un menu détail ; tout cela sans aucune invention, sans jamais s’écarter du thème donné. On ajoute ce qui a dû vraisemblablement arriver, on développe la situation, on fait des rapprochements. C’est en un mot une composition réfléchie et en un sens littéraire, ayant pour base une création spontanée. Cet âge est nécessairement fade et ennuyeux. Car le spontané, si vif, si gracieux dans sa naïveté, ne souffre pas d’être remanié. Que deviennent les idées naïves d’un enfant lourdement commentées par des pédants, fleurs délicates qui se flétrissent en passant de main en main. Croyez-vous que Vénus, Pan et les Grâces n’avaient pas pour les hommes primitifs qui les créèrent en sens différent de celui qu’ils ont dans le parc de Versailles, réduits a un froid allégorisme par un siècle réfléchi, qui va par fantaisie chercher une mythologie dans le passé pour s’en faire une langue conventionnelle (129) ?

Ces deux phases dans la création légendaire correspondent aux deux âges de toute religion : l’âge primitif, où elle sort belle et pure de la conscience humaine, comme le rayon du soleil, âge de foi simple et naïve, sans retour,