Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/331

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dirige verticalement ; au lieu de se perdre dans un horizon sans bornes, elle se fixe à terre et sur elle-même. C’est l’âge de la vue partielle, de l’exactitude, de la précision, de la distinction ; on ne crée plus, on analyse. La pensée se morcelle et se découpe. Le style primitif ne connaissait ni division de phrase, ni division de mots. Le style analytique appelle à son secours une ponctuation compliquée, destinée à disséquer les membres divers. Il y a des poètes, des savants, des philosophes, des moralistes, des politiques ; il y a même encore des théologiens et des prêtres  (136). Chose étrange, car, la théologie et le sacerdoce étant la forme complète du développement primitif, il semble qu’ils devraient disparaître avec cet état. Cela serait si l’humanité marchait avec un complet ensemble et d’une manière parfaitement rigoureuse. Comme il n’en est pas ainsi, la théologie et le sacerdoce survivent à ce qui aurait dû les tuer ; elles restent une spécialité entre beaucoup d’autres. Contradiction ; car comment faire une spécialité de ce qui n’est quelque chose qu’à la condition d’être tout ? Mais, la science analytique s’imposant comme un besoin, les timides cherchent à concilier ce besoin avec des restes d’institutions contradictoires à l’analyse, et croient y réussir en maintenant les deux choses en face l’une de l’autre. Je le répète, si la théologie devait être conservée, il faudrait la faire primer toute chose et ne donner de valeur à tout le reste qu’en tant que s’y rapportant. Le point de vue théologique est contradictoire au point de vue analytique ; l’âge analytique devrait être athée et irréligieux. Mais heureusement l’humanité aime mieux se contredire que de laisser sans aliment un des besoins essentiels de son être.

Ce n’est pas par son propre choix, c’est par la fatalité