Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/332

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de sa nature que l’homme quitte ainsi les délices du jardin primitif, si riant, si poétique, pour s’enfoncer dans les broussailles de la critique et de la, science. On peut regretter ces premières délices, comme, au fort de la vie, on regrette souvent les rêves et les joies de l’enfance ; mais il faut virilement marcher, et, au lieu de regarder en arrière, poursuivre le rude sentier qui mènera sans doute à un état mille fois supérieur. L’état analytique que nous traversons, fût-il absolument inférieur à l’état primitif (et il ne l’est qu’à quelques égards), l’analyse serait encore plus avancée que le syncrétisme, parce qu’elle est un intermédiaire nécessaire pour arriver à un état supérieur. Le véritable progrès semble parfois un recul et puis un retour. Les rétrogradations de l’humanité sont comme celles des planètes. Vues de la terre, ce sont des rétrogradations mais absolument ce n’en sont pas. La rétrogradation n’a lieu qu’aux yeux qui n’envisagent qu’une portion limitée de la courbe. Cercle ou spirale, comme Goethe le voulait, la marche de l’humanité se fait suivant une ligne dont les deux extrêmes se touchent. Un vaisseau qui naviguerait de la côte occidentale et sauvage des États-Unis pour arrivera la côte orientale et civilisée, serait, en apparence, bien plus près de son but à son point de départ, que quand il lutterai contre les tempêtes et les neiges du cap Horn. Et pourtant, à bien prendre les choses, ce navire est au cap Horn plus près de son but qu’il ne l’était sur les bords de l’Orégon ! Ce circuit fatal était inévitable. De même l’esprit humain aura dû traverser des déserts pour arriver à la terre promise.

L’analyse, c’est la guerre. Dans la synthèse primitive, les esprits différant à peine, l’harmonie était facile. Mais dans l’état d’individualisme, la liberté devient ombra-