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Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/356

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terie. Mais ce ne fut peut-être en effet que du bon cœur. Il est bien de pleurer sur ces redoutables nécessités, pourvu que les pleurs n’empêchent pas de marcher en avant. Dure alternative des belles âmes ! S’allier aux méchants, se faire maudire par ceux qu’on aime, ou sacrifier l’avenir !.

Malheur à qui fait les révolutions ; heureux qui en hérite ! Heureux surtout ceux qui, nés dans un âge meilleur, n’auront plus besoin pour faire triompher la raison, des moyens les plus irrationnels et les plus absurdes ! Le point de vue moral est trop étroit pour expliquer l’histoire. Il faut s’élever à l’humanité, ou, pour mieux dire, il faut dépasser l’humanité et s’élever à l’être suprême, où tout est raison et où tout se concilie. Là est la lumière blanche, qui plus bas est réfractée en mille nuances séparées par d’indiscernables limites.

M. Pierre Leroux a raison. Nous avons détruit le paradis et l’enfer. Avons-nous bien fait, avons-nous mal fait, je ne sais. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la chose est faite. On ne replante pas un paradis, on ne rallume pas un enfer. Il ne faut pas rester en chemin. Il faut faire descendre le paradis ici-bas pour tous. Or le paradis sera ici-bas quand tous auront part a la lumière, à la perfection, à la beauté, et par là au bonheur. Quand le prêtre, au milieu d’une assemblée de croyants, prêchait la résignation et la soumission, parce qu’il ne s’agissait après tout que de souffrir quelques jours, après quoi viendrait l’éternité, où toutes ces souffrances seraient comptées pour des mérites, à la bonne heure. Mais nous avons détruit l’influence du prêtre, et il ne dépend pas de nous de la rétablir. Nous n’en voulons plus pour nous ; il serait par trop étrange que nous en voulussions pour les autres.