Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/357

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Supposé que nous eussions encore quelque influence sur le peuple, supposé que notre recommandation fût de quelque prix à ses yeux, et n’excitât pas plutôt ses défiances, imaginez de quel air, nous, incrédules, nous irions prêcher te christianisme, dont nous reconnaissons n’avoir plus besoin, à des gens qui en ont besoin pour notre repos. De quel nom appeler un tel rôle ? Et quand il ne serait pas immoral, ne serait-il pas, de tous les rôles, le plus gauche, le plus ridicule, le plus impossible ? Car, depuis le commencement du monde, où a-t-on vu un seul exemple de ce miracle : l’incrédulité menteuse et hypocrite faisant des croyants. La conviction seule opère la conviction. J’ai lu, je ne sais où, une histoire de bonzes qui garantissaient en bonne forme à une vieille femme le paradis dans l’autre monde, si elle voulait leur donner sa fortune en celui-ci. Mais le sceptique qui prêche le paradis et l’enfer, auxquels il ne croit pas, au peuple qui n’y croit pas davantage, ne joue-t-il pas un rôle mille fois plus équivoque. « Amis, laissez-moi la jouissance de ce monde-ci, et je vous promets la jouissance de l’autre. » Voilà certes une bonne scène de comédie. Le peuple, qui a un instinct très délicat du comique, en rira.

Dieu me garde de dire que la croyance à l’immortalité ne soit pas en un sens nécessaire et sacrée. Mais je maintiens que quand un sceptique prêche au pauvre ce dogme consolateur sans y croire, afin de le faire tenir tranquille, cela doit s’appeler une escroquerie ; c’est payer en billets qu’on sait faux, c’est détourner le simple par une chimère de la poursuite du réel. On ne peut nier que la trop grande préoccupation de la vie future ne soit à quelques égards nuisible au bien-être de l’humanité. Quand on pense que toute chose se retrouvera là-haut rétablie, ce