Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/359

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vieilles idées. Reste la force ; faites bonne garde. Oh ! ne vous y fiez pas : les ilotes en minorité sont encore les plus forts. Il suffira d’une maladresse, d’un faux pas, pour qu’ils vous poussent, vous renversent et vous écrasent. Êtes-vous bien sûrs de ne pas faire un faux pas en vingt ans ? Songez qu’ils sont là, derrière vous, attendant le moment. Et puis, cela est immoral et intolérable, quand on y songe. Le bonheur que je goûte n’est qu’a la condition de la dépression d’une partie de mes semblables. Si un moment les dogues qui font la garde à la porte de l’ergastulum se relâchaient de leur violence, malheur ! ce serait fini. Je n’ai jamais compris la sécurité dans un pays toujours menacé de l’invasion des eaux, ni le bonheur moral dans une société qui suppose l’avilissement d’une partie de la race humaine.

Remarquez, je vous prie, la fatalité qui a conduit les choses à ce point, et qui a rivé chacun des anneaux de la chaîne, et ne croyez pas avoir tout dit quand vous avez déclamé contre tel ou tel. C’est fatalement que l’humanité cultivée a brisé le joug des anciennes croyances ; elle a été amenée à les trouver inacceptables ; est-ce sa faute ? Peut-on croire ce que l’on veut ? Il n’y a rien de plus fatal que la raison. C’est fatalement, et sans que les philosophes l’aient cherché, que le peuple est devenu a son tour incrédule. A qui la faute encore, puisqu’il n’a pas dépendu des premiers incrédules de rester croyants, et qu’ils eussent été hypocrites en simulant des croyances qu’ils n’avaient pas, ce qui d’ailleurs eût été peu efficace car le mensonge ne peut rien dans l’histoire de l’humanité. C’est fatalement enfin que le peuple incrédule s’est élevé contre ses maîtres en incrédulité et leur a dit : Donnez-moi une part ici-bas, puisque vous m’enlevez la