Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est plus tant la peine de poursuivre l’ordre et l’équité ici-bas. Notre principe, à nous, c’est qu’il faut régler la vie présente comme si la vie future n’existait pas, qu’il n’est jamais permis pour justifier un état ou un acte social de s’en référer à l’au-delà. En appeler incessamment à la vie future, c’est endormir l’esprit de réforme, c’est ralentir le zèle pour l’organisation rationnelle de l’humanité. Tout le travail de réforme sociale accompli par la bourgeoisie française depuis le xviiie siècle repose sur ce principe implicitement reconnu, qu’il faut organiser la vie présente sans égard pour la vie future. C’est le plus sûr moyen de ne duper personne.

Au moins, dira-t-on, laissez faire le prêtre, qui croit, lui, et qui, par conséquent, peut opérer la conviction. A la bonne heure mais ne comptez pas trop sur cet apostolat improvisé au moment de la peur : le peuple sentira que vous êtes bien aises qu’on lui prêche ainsi, et puis il vous verra incrédules. Stipendiez des missionnaires pour prêcher des missions dans tous les villages ; votre incrédulité sera une prédication plus éloquente que la leur.

— Eh bien ! nous allons nous convertir ! Pour faire croire le peuple, il faut que nous croyions ; nous allons croire. De tous les partis, c’est ici le plus impossible les religions ne ressuscitent pas ; ne se convertit pas qui veut. Vous croirez au moment de la peur, vous chercherez à croire. Oh les étranges chrétiens que les chrétiens de la peur ! Au premier beau soleil, vous redeviendrez incrédules. Vous avez pu chasser Voltaire de votre bibliothèque, vous ne le chasserez pas de votre souvenir ; car Voltaire, c’est vous-même.

Il faut donc renoncer à contenir le peuple avec les